Le regard bleu

Le regard d’une personne est comme un livre ouvert. Voyez le regard de celles et ceux qui dirigent présentement le monde. Vous pourrez lire à la fois l’inquiétude, l’arrogance, l’orgueil, la bienveillance, la vanité, la dissimulation, l’intrigue et l’envie. Vous pouvez ajouter encore plusieurs épithètes.

Récemment, je me trouvais devant un édifice où les passants étaient nombreux. Comme je désirais me rendre quelque part et que je ne savais comment faire, j’interpellai un jeune homme. Il s’arrêta et prit le temps de m’écouter. Son regard bleu – car on écoute aussi avec ses yeux – indiquait une fatigue, peut-être chargé des événements de la journée, ceux de son travail. Il m’expliqua comment faire suite à ma demande. Puis, son regard changea et il me donna une indication encore plus précise en me montrant où je devais me rendre.

Je fis donc l’expérience de deux regards venants des mêmes yeux bleus. Le second regard n’était plus dans la douleur et la lourdeur mais dans une lumière où je vis clairement le bonheur de se rendre plus loin que la première information. Il était heureux de donner plus qu’une simple indication. J’ignore cependant ce que mon regard provoqua. Il avait peut-être perçu mon inquiétude qui rejoignait la sienne mais il est clair qu’en me donnant plus… mon regard s’illumina. Nos regards avaient trouvés leur communion.

Tout cela se fit de manière rapide et dura peu. Or, ce regard bleu est demeuré en moi comme une empreinte, celle de notre monde qui voit tant de fatigues, de blessures, d’anonymats. Donner plus, sera toujours une joie quand le meilleur sort son drapeau.

Comment ne pas penser à ce regard de Jésus sur l’homme riche qui lui demande : ‘ Bon Maitre, que pourrai-je faire pour avoir la vie éternelle?’ Dans cet épisode, le texte écrit : ‘Jésus le regarda et l’aima.’ Le regard de Dieu a les yeux de Jésus, la couleur d’un amour profond qui appelle une sortie de soi aussi profonde. L’homme était arrivé avec des yeux joyeux, pleins de cette attente de la réponse de Jésus. Puis, il est reparti ‘tout triste’, déçu de son incapacité à se rendre plus loin, trop proche de ses biens.

Olivier Clément, célèbre écrivain de spiritualité orthodoxe, se trouvait à près de 20 ans, décidé d’en finir avec la vie. C’est le regard d’un enfant qui toucha son cœur et le remit debout. Lors de mes entrevues à l’étranger, j’ai eu le bonheur de m’entretenir avec lui, il y a quelques années. Il était âgé, mais j’ai vu ses yeux qui avaient vu. Des yeux vivants! Merci Mon Dieu pour tous ces regards qui font renaitre des cendres le feu.

Denis Veilleux

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