Au Pays de la Dignité

Monsieur LeDroit aura passé 40 ans de sa vie à fabriquer des lois. Il avait contracté mariage avec Madame Légale. De leur union naquirent 2 enfants : l’aînée s’appela LaPerformance et le cadet LeDroit junior. Vers la trentaine, monsieur LeDroit plongea dans l’Univers du droit au service du Pays de la Dignité. Nuit et jour il fabriquait des Lois : pour ceci, pour cela, contre ceux-ci, pour ceux-là. Dès que se présentait un problème il le contournait habilement en fabriquant une loi. Au Pays de la Dignité on multipliait les choses en éliminant autre chose. Une manière de jouer l’équilibre.

Dans ce contexte monsieur LeDroit perdit de vue ses enfants. La Performance fit une fugue à 18 ans et on ne la revit plus. Quant au cadet Le Droit junior il ambitionnait de fabriquer des lois. Durant 40 ans, monsieur LeDroit vit sa femme que de dos. Rentré très tard chaque soir, 7 jours sur 7, il n’allumait jamais la lampe sur la table de nuit pour ne pas l’éveiller et, avant l’aurore il avait repris le chemin du boulot.

Madame Légale mit des années à planifier sa retraite. Elle légalisait tous ses sentiments et ses avoirs. Croisières, alpinisme, jeûne drastique, elle légalisait la vision de toutes tendances. Elle écrivit plusieurs ouvrages qui ne trouvèrent jamais d’Éditeur. Les titres : La légalisation par le Légal; le Légal par la légalisation; le légal sans Légalisation; La Légalisation sans égalité.

Unis par leur passion commune monsieur LeDroit et madame Légale ne virent pas les années passer.

Au Pays de la Dignité, on offrit un dîner. Le menu était composé de chiffres. On pouvait lire sur la carte les 5 services :

  1. L’entrée : Terrine d’orgueil nappée de solitude
  2. Le Potage de l’Indifférence
  3. Viandes compostées cuites dans un four d’or servies de nano condiments
  4. Comme dessert : un Split sondage renversé sur statistiques

Boisson : glace fondante bleutée

Bar à salades : une feuille  à volonté!

Ayant mangé des yeux le menu offert par le Pays de la Dignité, les deux époux se regardèrent après 40 ans. Ils eurent peine à se reconnaître. Elle vit le bouton sur le nez de monsieur LeDroit qui lui rappela leur première rencontre et lui reconnut l’oeil gauche tombant sur la paupière tombante de madame Légale.

La directrice de l’Événement était nulle autre que leur fille LaPerformance qu’ils n’avaient jamais revue et qu’ils ne reconnurent pas et pas davantage la fille ses parents. Monsieur LeDroit junior était à l’entrée et comptait les profits du repas offert au Pays de la Dignité mais comptabilisé pour une Banque nouvellement créée par une Loi de monsieur Le Droit père.

Monsieur LeDroit et madame Légale reçurent lors de cet événement chacun une médaille.

Elle déterminait tout simplement leur mise à la retraite. Monsieur LeDroit fut envoyé au Nord et madame Légale au Sud. Ils reconnurent dans cette façon de faire le fruit de leurs labeurs. Effectivement, monsieur LeDroit en avait fabriqué la Loi que madame Légale avait puissamment soutenue  dans l’opinion des lecteurs, tous médias confondus.

Le Pays de la Dignité leur fournit tout un arsenal pour vieillir dans l’isolement. Le résultat fut un succès. Ils sombrèrent rapidement sur le Titanic des Systèmes. Une date fut choisie par un comité qui vota à l’unanimité que ces champions du droit et du légal devaient être réunis dans une fin de vie qu’eux-mêmes avait fabriquée et soutenue. N’ayant plus d’adresse légale, leurs cendres furent oubliées de droit près de la cheminée où s’entassaient des petits bracelets de plastics couverts de chiffres.

Leur héritage fut déposé dans les coffres du Pays de la Dignité.

De la pure fiction.

Denis Veilleux

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