As-tu du cœur?
Certains reconnaitront cette expression de Pierre Corneille dans une de ses tragédies, notamment le Cid : « Rodrigue, as-tu du cœur? ».
C’est davantage l’épisode où les Apôtres revenus deux par deux de la mission que Jésus leur enjoignit; celui-ci leur proposa un temps à l’écart pour le repos. Essentiel dans la mission que celui du repos…un instant…un peu…, ajoute Jésus. Sinon, le risque est grand de quitter le réel de l’évangélisation en reportant à demain ou après-demain les impératifs qui frappent à nos portes.
Laissant alors les foules qui ne cessent d’affluer, ils partent en barque vers cet endroit à l’écart pour le repos. Or, les gens comprennent et suivent à pied le parcours et arrivent avant eux près de la rive. C’est alors que Jésus est saisi au cœur. Il a compassion de ces marcheurs qui ont non seulement devinés ce qui se passait, mais sont arrivés avant eux sur le bord du lac. L’évangéliste précise quelle image est montée au cœur de Jésus : « ils étaient comme des brebis sans bergers ». C’est le réel de ce que Jésus voit : une foule sans personne pour les conduire ou les guider.
Pourtant, ils sont juifs, ils appartiennent au peuple de l’Alliance, ils ont Moïse et les prophètes, ils ont une histoire singulière de libération, même si pour le moment ils sont sous domination romaine. Ils ont la Torah, les chefs religieux pharisiens et sadducéens. Et le Temple à Jérusalem, où ils peuvent se rendre chaque année pour la fête de la Pâque. Tout cela ne suffit pas à ce que Jésus les retrouve dans la sérénité de l’unité. Il les voit ‘comme des brebis sans berger’. C’est alors qu’Il renonce au repos pour leur parler longuement. Et toute cette foule écoute longuement.
Que se passe-t-il? C’est que leurs cœurs sont touchés par le cœur de Jésus. C’est le cœur du Pasteur, du Berger qui donne la tonalité au cœur de la foule. C’est comme le chef d’orchestre qui donne la mesure et le rythme à tous les instruments variés.
L’évangélisation n’aura jamais de repos. C’est impossible, puisque les générations succèdent aux générations. Proclamer la Bonne Nouvelle à toute la Création est un ultimatum qui se rendra jusqu’au dernier jour du monde. C’est la Mission de l’Église catholique et de toutes les missions chrétiennes dans le monde que celle de l’Annonce ininterrompue. Une urgence mondiale afin que le monde ne perde pas son cœur.
Dans l’Histoire depuis deux mille ans et plus, il y a des régions qui ont reçu l’Annonce de l’Évangile et qui aujourd’hui sont devenues soient des minorités ou totalement déchristianisées. Non seulement par les guerres et conflits séculaires, mais aujourd’hui par la montée de l’indifférence et les persécutions politiques contre celles et ceux qui portent l’Évangile de la Vie jusqu’au cœur du monde.
Et nous, avons-nous cette passion de l’Annonce de l’Évangile ici? Encore et toujours? Comment cette annonce est-elle celle de Jésus saisi de compassion devant ces foules qui sont égarées ou sans véritables bergers pour les enseigner au risque d’être poussés dehors. À temps et à contretemps, l’Évangélisation est une affaire de cœur, de salut du monde, celle de l’Esprit-Saint qui agit avec Puissance, non par la force, mais par l’amour. L’amour de charité et de vérité, non pas édulcoré par les idéologies qui réduisent la Parole de Jésus ou celles qui annoncent la fin du monde.
Avons-nous du cœur pour l’Annonce de l’Évangile?
Denis Veilleux