Amédée et Francesco
Je ne pouvais poursuivre le repas sans demander le prénom de celui qui était à ma droite. Je me trouvais dans une maison religieuse à Paris. Ils étaient deux cousins à causer. Amédée et Francesco. Je venais d’ailleurs de faire une blague à Amédée qui disait boire une grande quantité d’eau par jour. Je me risquai à le comparer à un « aquarium ». Ce qui fit rire toute la tablée. Et j’ajoutai qu’il devait y avoir beaucoup de poissons en lui. Cette blague lui plut et je demandai : quel est ton prénom? C’est très important pour moi de connaître le prénom de quelqu’un, même si je peux oublier. ‘Amédée!’ me dit-il. Et il ouvrit une page de son histoire que son cousin connaissait par cœur. Il se rendait à Caen pour y passer un premier examen. Quel examen? demandai-je. – En électricité!
Il poursuivit, ajoutant qu’il venait du sud et qu’il était monté dans le Nord pour cet examen. Vers la fin de la trentaine, il éprouvait des difficultés à trouver le créneau qui l’aiderait à vivre. L’épidémie de la Covid l’avait ralenti alors qu’il travaillait dans le monde du spectacle et des événements. Père de trois enfants, il parla de sa femme avec une telle délicatesse : heureusement, elle est là! Son regard disait tout, me regardant assis à ma droite. Il lui fallait tourner sa tête pour me parler. Tous ces gestes ou attitudes ne sont jamais banals. Ils expriment le degré de relation et de confiance. Je l’écoutais avec attention, tout en relevant chaque fois un mot drôle ou une expression pour semer la joie.
Francesco se mit à lui poser des questions relatives à l’examen du lendemain à Caen. Visiblement, il avait aidé son cousin à préparer l’examen. Francesco était prêtre missionnaire au Cambodge, en congé. Il me semblait fatigué. Les deux cousins portaient chacun une croix sur la poitrine. Très visibles. Francesco portait la croix de St-François d’Assise, son patron, et Amédée me montra la sienne qu’il avait prise à son cousin prêtre, me disant que ce n’était pas son habitude. Loin de chez lui avec son cousin, il osait se montrer comme ça.
Deux croix, deux personnes, deux cousins, deux mondes. L’un papa et l’autre prêtre missionnaire. Je saluai Amédée en disant que je penserais à lui. À Francesco je dis : Salut Francesco! Tout d’une pièce, il répondit : Salut!
Les reverrais-je? Je l’ignore. Mais je garde en mémoire, celle du cœur, leurs prénoms comme l’expression d’une rencontre qui m’a fait grand bien. J’aurais pu me taire, ne rien dire ou presque, mais la blague de l’aquarium ouvrit la mer…celle de la rencontre.
À suivre…
Denis Veilleux